mardi 11 septembre 2012

Keur Massar, une pharmacie naturelle (traduction française)


Comme promis, voici la traduction de l'article d'il y a une semaine. Merci à Colette pour cette traduction!
Djibril Bâ

L’Afrique n’est pas un pays.

« Mis à part le nom géographique, l’Afrique n’existe pas. » disait Ryszard Kapucinski. Et de l’Europe, nous nous sommes habitués à simplifier sa réalité jusqu’à la rendre uniforme, pauvre, catastrophique et dépendante. Mais l’Afrique est un continent : 55 pays, mille millions de personnes, une multiplicité de mondes, d’ethnies, de voix, de cultures….Une Afrique hétérogène et riche, contée ici et là. Un blog de Lola Huete Machado. 


Keur Massar, une pharmacie naturelle.

        Djibril Bâ se meut dans ce chaos apparent de plantes, d’arbres et d’herbes médicinales, avec une grande habileté. « Regarde, c’est un baobab » dit-il « c’est un véritable arbre pharmaceutique. On s’approprie tout de lui: les feuilles, les semences, les fruits, l’écorce, les racines… et c'est pour cette raison que beaucoup de cultures africaines l’ont doté d’un caractère magique et disent que les esprits vivent en lui. Son développement est si lent que cet argument empêche les enfants de le détruire quand ils s’approchent de lui ». Nous sommes dans le jardin de l’Hôpital de Keur Massar, dont Djibril Bâ est le directeur. C’est un sanctuaire de la médecine traditionnelle africaine à seulement à 25 kilomètres de Dakar, un espace pour la sauvegarde et l’investigation de l’immense patrimoine naturel et thérapeutique de la flore africaine.

       Après avoir traversé l’éternel bouchon qui se forme quotidiennement à la sortie de Dakar, capitale du Sénégal, et après avoir subi les secousses  d'une route en construction, nous arrivons à l’Hôpital Traditionnel. Un mur blanc entoure l’espace qui se distingue beaucoup, dans son aspect, des cliniques occidentales. Il y a diverses constructions, toutes  sue un niveau, et nulle part on n’y rencontre de salles pour la maternité, pour la radiographie ou pour la chirurgie. Il y a un laboratoire, une petite pharmacie, une réception, une demi-dizaine de pièces pour s’occuper des patients dans l’intimité et, surtout, un immense jardin d’environ 5 hectares d’où proviennent les remèdes naturels pour une grande liste de maladies. Les plantes ici, plus de 250 espèces qui vivent ensemble dans cet espace, sont les grands acteurs du lieu.

       L’histoire de Keur Massar est liée de manière indissoluble à la forte personnalité de la scientifique française Yvette Parès. Docteur en médecine et en biologie, elle arrive au Sénégal en 1960 afin de donner des cours à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le sac à dos plein de bonnes intentions, avec l’idée « d’apporter aux Africains des choses merveilleuses ». Mais son contact avec l’Afrique change les données et elle devient souveraine dans l’art d’apprendre. Première personne à cultiver le bacille de la lèpre, Parès se convertit, en 1975, en directrice du Centre d’investigations biologiques de cette maladie. Cela l’amène à questionner les thérapies proposées par la médecine occidentale, thérapies qu’elle considère comme décevantes. C’est alors qu’elle fait la connaissance de quelqu’un qui changera sa vie et sa perception de la science médicale, le guérisseur traditionnel peul Dadi Diallo. 


(Photo de José Naranjo. : Entrée de l’hôpital traditionnel de Keur Massar)    

       Le maître Diallo initie Parès aux thérapies alternatives contre la lèpre, thérapies à base de plantes africaines. Un monde nouveau s’ouvre à la scientifique. Avec une immense générosité, Diallo accepta d’introduire Parès dans le monde des plantes médicinales. « Ce fut un miracle ! » assurait la doctoresse, des années après, lors d’une entrevue. « Il est extraordinaire que les thérapeutes africains aient eu confiance en une étrangère, surtout vu ce que je représentais, c'est-à-dire, le pays colonisateur. Il y eut toute une série de circonstances qui permirent à ce que les grands maîtres sénégalais m’acceptent ».

       Ce furent quinze années de formation, en se levant chaque matin tôt, allant aux champs pour apprendre à identifier les plantes, recueillant des échantillons, préparant les remèdes, sachant reconnaître les maladies d’un coup d’œil et découvrant aussi la dimension mystique des thérapies des guérisseurs africains. Ce ne fut ni facile, ni rapide, Il y eut à surmonter le manque de confiance de certains des guérisseurs. Mais Yvette arriva à s’introduire dans un savoir antique qui s’était transmis de génération en génération. Et en 1980, ensemble avec Dadi Dallio et d’autres experts africains comme Yoro Bâ, directeur du jardin botanique de l’Université de Dakar, la scientifique réputée inaugurait l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar.

(Photo de José Naranjo: Djibril Bâ dans le jardin de l’Hôpital)

Dans un premier temps, ce fut un centre pour les lépreux. Pour cette raison, il fut choisi en un lieu éloigné de la ville et isolé pour éviter les contagions possibles. De même, il se construisit à l’intérieur de l’Hôpital, une petite école pour les enfants des malades (maintenant les enfants des cités de Keur Massar utilisent cette école et elle porte le nom d’Yvette Parès). Mais, rapidement, le traitement d’autres maladies a débuté: tuberculose, dermatose, hépatite, diabète, asthme, sinusite, rhumatisme, malaria, diarrhée, problèmes intestinaux, etc. Et le jardin commença à croître avec des plantes apportées non seulement de tous les coins du Sénégal, mais tout aussi bien d’autres pays de l’Afrique, y compris de bien loin.

(Photo de José Naranjo : Laboratoire de l’Hôpital de Keur Massar)

Dans le laboratoire, les travailleurs de l’Hôpital (ils sont une vingtaine) s’affairent à la préparation de petits sachets avec des plantes médicinales ou des feuilles séchées pour les infusions, tandis qu’à l’extérieur, à l’ombre des arbres, trois guérisseurs attendent la prochaine visite. Ce sont Moussa Ndyane de Podor, Alioune Ngom de Thiès et Hamady Diow de Matam, thérapeutes traditionnels, qui travaillent pour l’Hôpital. En même temps, ils contribuent avec leur expérience, à faire de ce lieu le centre majeur de phytothérapie de tout le Sénégal. Mais la situation de la médecine traditionnelle n'a pas encore vraiment évoluée. « La majorité continue à penser que la médecine occidentale détient toutes les réponses et, seulement quand ils ne trouvent pas de réponse, les patients viennent à Keur Massar. C’est dommage », assure Geneviève Baumann, présidente de l’ONG "Rencontre des médecines" , un des supports principaux de l’Hôpital.

Yvette Parès détecta le même problème dans les années quatre-vingt. La scientifique française généra une grande polémique en assurant qu’elle avait mis au point des remèdes naturels contre le SIDA. « Si les patients arrivent à temps, ils peuvent guérir», assurait ainsi Parès. Mais elle rencontra un énorme scepticisme de la part de la médecine occidentale. « Ils sont sceptiques parce que nous avons cru à l’idée que les occidentaux sont les meilleurs. Ils sont sceptiques par ignorance et non pas nécessairement par mauvaise volonté. Les occidentaux ont accompli un véritable lavage de cerveau sur les  gens. Afin de comprendre la médecine traditionnelle, il faut surmonter certaines barrières mentales érigées par notre éducation », insistait la scientifique.

(Photo de José Naranjo : Hamady Diow, Alioune Ngom et Moussa Ndiaye, guérisseurs)

Ces barrières, qui existent aussi pour beaucoup d’Africains, ont relégué la médecine traditionnelle à un plan secondaire ou tertiaire. À cause de cela, l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar a l’ambiance de ces lieux qui ont vécu de meilleurs moments, peut-être des heures de gloire. Mais la bataille n’est pas perdue. Outre de pouvoir compter sur un certain appui du gouvernement sénégalais, chaque année, des volontaires venus des différents coins du monde arrivent jusque-là, afin d’investiguer le pouvoir des plantes africaines. Le centre a réservé pour eux un espace avec des habitations, s’ils désirent s’installer sur le site de l’hôpital lui-même et s’ils cherchent à connaître son fonctionnement. Et d’Europe arrivent des demandes de plantes médicinales. De plus en plus.

Ainsi le désirait Yvette Parès, auteur de trois livres de divulgation : "La médecine africaine, une efficacité surprenante" (2004), " SIDA, de l’échec à l’espérance : le regard d’une scientifique, doctoresse et thérapeute traditionnelle" (2007), et "Perles de sagesse de la médecine traditionnelle" (2009), qui est paru il y a trois ans. Les guérisseurs de l’Hôpital, investiguant, questionnant et apprenant sans cesse - entre les plantes de menthe, la citronnelle, l’aloès véra, le noni, le basilic et les arbres d’anacarde qui peuplent le jardin de Keur Massar - continuent d'explorer l’esprit d’Yvette Parès.

Article de José Naranjo- 04 septembre 2012, « El Paìs ».


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