vendredi 1 octobre 2010

Relire Madame Parès (4)

Dossier : La santé pour tous, un enjeu mondial
- Médecines du monde -

La transmission des savoirs sur les plantes médicinales et la préservation de la biodiversité sont vitales pour toutes les sociétés (ici en Malaisie).


L’art de guérir n’est pas l’apanage de la seule médecine occidentale. Partout à travers le monde, d’autres thérapies, parfois très anciennes, soulagent les populations grâce à une connaissance profonde de l’être humain et de son environnement. Des médecines adaptées à leur environnement


Approches complémentaires

"Tous les peuples, explique Yvette Parès, ont élaboré des médecines selon leur intelligence, leur génie, leur représentation de l’univers et leur environnement". Et de citer pêle-mêle : les médecines chinoise [1], ayurvédique, amérindienne, arabe, polynésienne... et, bien sûr, africaine.

Cette femme occidentale (Française), chercheuse, médecin et universitaire au Sénégal, sait de quoi elle parle. Vingt ans durant, elle a pratiqué la médecine traditionnelle africaine à l’hôpital Keur Massar, près de Dakar, qu’elle a contribué à fonder en 1980, et où ont été soignés plus de 250 000 patients.

Comme toutes les médecines traditionnelles à travers le monde, la thérapeutique africaine est sacrée. " Le malade, insiste Yvette Parès, est considéré dans sa totalité, dans l’unité que forment son corps, son âme, son esprit et pas seulement l’organe malade (...). Le thérapeute se considère comme un intermédiaire entre le principe de vie d’ordre divin et le patient. Son rôle est d’orienter et de stimuler les forces de guérison du malade par l’accueil, l'écoute, les soins, les traitements, le réconfort, les prières et les encouragements."

"De plus, la médecine traditionnelle n’attaque pas un agent pathogène d’une seule manière, mais à l’aide de l’ensemble des substances actives (...) de plusieurs plantes ou racines différentes, parfois cinquante. Là où la médecine moderne est analytique et attaque le problème avec une seule molécule, la médecine
traditionnelle, elle, l’attaque sur plusieurs fronts. Il n’y a pas de risque ainsi de faire apparaître des résistances à l’action combinée de toutes ces plantes.



Facilement accessibles sur place et peu coûteux, les produits traditionnels doivent être préservés. Mère massant son enfant avec de l’huile de moabi, un arbre menacé d’extinction. Celui-ci est le seul, au Cameroun, à fournir cette substance utilisée dans plus de 50 indications médicinales.


Des médecines adaptées à leur environnement.

La pratique de la médecine traditionnelle demande un long apprentissage. Yvette Parès a suivi les conseils d’un maître pendant plus de quinze ans avant de pouvoir exercer son art. Pourtant, si cette science et sa pharmacopée sont complexes, les moyens matériels mis en œuvre sont simples et adaptés à la brousse :
marmites, mortiers, pilons, bouteilles, de quoi faire du feu... Tout est sur place.

"La médecine africaine, soutient Yvette Parès, est d’une efficacité étonnante." Elle soulage efficacement la lèpre, la tuberculose, les hépatites et même le sida. Le professeur Luc Montagnier, le découvreur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à l’Institut Pasteur, en convient : " On ne peut pas guérir le sida avec ces traitements, mais les médecines traditionnelles peuvent ralentir l’évolution vers la phase où le traitement sera indispensable."

Malheureusement, trente ans après la reconnaissance des médecines traditionnelles par l’Organisation mondiale de la santé, leur exercice s’avère de plus en plus malaisé. Longtemps taxés de charlatanisme, ces savoirs ont du mal à se perpétuer d’une génération à une autre, tandis que les " tradipraticiens " - consultés par 80 % des Africains - rencontrent des difficultés croissantes pour se fournir en plantes sauvages en raison de la baisse de la biodiversité dont souffre le continent noir depuis plusieurs décennies.

Approches complémentaires

Inversement, les médecines traditionnelles, singulièrement asiatiques (ayurveda et yoga indiens, acupuncture, shiatsu et tai-chi-chuan chinois...), connaissent un engouement sans précédent en Occident. Elles suivent en cela les autres thérapeutiques non conventionnelles occidentales : phytothérapie, sophrologie, homéopathie, ostéopathie, chiropraxie, anthroposophie, kinésiologie... Ainsi, 90 % des Allemands reconnaissent prendre un remède naturel à un moment ou à un autre de leur vie. Et 158 millions d’Américains font appel à des produits de médecine complémentaire. Personne ne remet en cause pour autant la puissance de la médecine scientifique et les progrès spectaculaires qu’elle a permis d’accomplir en chirurgie, par exemple, ou dans la lutte contre les maladies infectieuses. Mais un nombre grandissant de patients lui reprochent une attitude par trop mécaniste, réductrice, et un recours trop systématique à la chimie de synthèse, dont les effets secondaires sont parfois redoutables. Surtout, ils cherchent une relation plus humaine avec le praticien, une écoute, une prise en charge globale de leur mal-être que la médecine conventionnelle, malgré des efforts récents, peine à fournir.

En réalité, toutes les thérapeutiques sont complémentaires. Ne serait-il pas temps de mettre en route le programme qu’avait défini Boutros Boutros-Ghali en 1993 ? Lors de la VIe Journée mondiale du sida, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) avait demandé " un effort de coordination étendu à tous les savoirs médicaux de la planète" pour arriver à vaincre la pandémie.

Emmanuel Thévenon, journaliste

Une biologiste africaine aux doigts verts

Le kininti est une plante utilisée au Togo pour soigner le paludisme. La biologiste Yezoumi Akogo-Assogbavi, chercheuse au Laboratoire de chimie des substances naturelles de l’Université du Bénin, à Lomé (Togo), a réussi à isoler, au sein du kininti, la molécule aux propriétés anti-paludiques, la gédunine, et qui n’est pas de la quinine.

Outre le kininti, son équipe étudie aussi le esru (ou basilic salutaire), connu au Togo pour ses vertus antibiotiques, et le avoudati (ou thé de Gambie), pour ses vertus gastriques. Ses recherches sur la fabrication de " phytomédicaments " lui ont valu de recevoir, en 2000, l’une des bourses du prix Unesco/L’Oréal pour les femmes de sciences. En Afrique,
plusieurs pays se sont déjà lancés dans la production de ces spécialités, comme le Mali, le Burkina Faso ou le Rwanda.

Nadia Khouri-Dagher, journaliste


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